10.
Tandis qu’Archer Carroll manœuvrait son break cabossé sur la voie express Major Deegan, les paroles du propriétaire du restaurant l’Atlantic Avenue lui revenaient à l’esprit avec la persistance d’une question philosophique insoluble… « Mais vous, qu’est-ce que vous êtes ?… Dites-moi ce que vous êtes, je vous en prie, monsieur. »
Il jeta un coup d’œil à son visage aux traits tirés dans le rétroviseur.
Ouais, qu’est-ce que tu es, Arch ? Les Rashid et Hussein Moussa étaient des méchants mais, toi, tu es quoi, une espèce de héros de la nation, c’est ça ?
Il était exténué, complètement ramolli après le carnage du début de soirée. Un mal de tête lancinant commençait à le gagner.
« Mais vous, qu’est-ce que vous êtes, monsieur ? »
Il alluma la radio de sa voiture afin de se changer les idées.
Il entendit aussitôt les informations concernant Wall Street, énoncées par une voix empreinte de l’hystérie contenue que les reporters affectionnaient lorsqu’ils relataient des événements d’importance nationale. Carroll monta le volume.
Il se concentra sur le reportage débité d’une voix tendue par le journaliste. S’ensuivirent alors des interviews de gens dans la rue, enregistrées sur un fond assourdissant de mugissements de sirènes. Il était impossible de se méprendre sur les intonations choquées des personnes interrogées.
Carroll agrippa fermement son volant à deux mains. Sa tête était emplie d’images de destruction de guérilla urbaine. Il saisissait parfaitement en quoi Wall Street représentait une cible idéale pour un groupe terroriste armé, mais il ne parvenait pas à accomplir la culbute nécessaire pour passer de l’idée à sa terrifiante matérialisation.
Il ne voulait pas y penser. Il était presque arrivé chez lui et n’éprouvait aucune envie de laisser le monde extérieur investir le dernier sanctuaire qui lui restait. Pas ce soir, en tout cas.